Le commissariat empestait le renfermé et les papiers humides. Cassie, enroulée dans un manteau trop grand pour elle, fixait la table froide devant elle. Ses doigts tremblaient encore. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait là, ni pourquoi on l’avait retrouvée inconsciente dans un terrain vague avec sa voiture, des traces de brûlure sur les mains, et un sac contenant des résidus suspects.
Quand l’officier était venu l’annoncer à la famille Carter, ce fut Ana qui réagit la première. Elle n’avait pas adressé un mot à sa mère, jusqu’à ce que cette dernière tente de jouer la comédie du choc et de la panique.
— T’arrête ton cirque maintenant, murmura Ana entre ses dents une fois seule avec elle. Tu vas la sortir de là. Tout de suite.
Grace la regarda avec froideur.
— De quoi tu parles ? Tu es folle ?
— Tu veux que je dise la vérité ? Je te jure que je le ferai. Je me fiche de ce qui m’arrivera. Mais elle, elle mérite pas ça. C’est toi qui l’as envoyée là-bas, c’est toi qui as tout mis en place. Tire-la de là, ou je parle.
Grace soutint le regard de sa fille, et Ana y lut pour la première fois une lueur d’hésitation.
— T’es prête à tout foutre en l’air, pour elle ? demanda Grace calmement.
— C’est toi qui fous tout en l’air. Moi, je veux réparer.
__ Ok comme tu veux .
La nuit fut longue. Mais dès l’aube, Grace était en action. Son téléphone n’arrêtait pas de vibrer. Avocats, juges, chefs d’enquête, journalistes : tous furent contactés. Grace Carter était riche, influente, et savait manier la séduction aussi bien que l’intimidation.
Les preuves contre Cassie ? Elles disparurent comme par magie. Les images, les résidus, les objets suspects… tout fut rangé dans une enveloppe qui ne verrait jamais la lumière du jour. L’enquêteur en chef, un certain Pascal Demarais, sombra sous le charme glacial de Grace, qui s'arrangea pour qu’aucune charge ne soit retenue.
— En absence de preuves concrètes, on ne peut pas la retenir plus longtemps, annonça-t-il à la presse.
À midi, Grace se présenta devant le poste avec un sourire parfaitement maîtrisé. Cassie sortit, le regard flou, les traits tirés. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, mais elle sentait qu’un gouffre s’ouvrait sous ses pieds.
Dans la voiture, personne ne parla pendant un long moment.
— Tu n’auras pas à revenir ici, dit enfin Grace. Tout est réglé. Mais il faut que tu partes. Demain à la première heure, ton avion décolle.
Cassie cligna des yeux, incrédule.
— Partir ? Où ça ?
— Dans un autre pays. J’ai… une propriété là-bas. Enfin, ce n’est pas exactement à moi, c'est pour ton père et...de toute façon tu y seras en sécurité.
— Et… pourquoi ? Je ne comprends pas.
— Tu as besoin de te reposer, Cassie. Tu ne vas pas bien. Ce que tu as vécu a dû te traumatiser. Crois-moi, un peu d’isolement et de calme te feront le plus grand bien.
Cassie ne répondit pas. Une voiture ? Un billet d’avion ? Un manoir à l’étranger ? C’était trop rapide. Trop net. Mais elle était trop fatiguée pour protester.
— Une voiture t’attendra à l’hôtel demain. Tu prendras l’avion à 7h30. J’ai déjà tout organisé, assura Grace en lui tendant un dossier.
Cassie le prit mécaniquement.
— Pourquoi… pourquoi tu fais tout ça pour moi ? demanda-t-elle d’une voix cassée.
— Parce que je suis ta mère. Et je ne laisserai rien t’arriver.
Grace déposa un baiser sur son front, glacé.
__ Je t'ai même trouvé un travail dans un laboratoire là bas.
Mais Cassie, assise dans la voiture restait silencieuse . Rien n'allait , toute sa vie là bas venait de s'effondrer.
(Arrivée chez les Carter ,20h)
Cassie était dans sa chambre depuis une heure à peine, une valise ouverte sur le lit, les gestes lents, presque mécaniques. Elle y rangeait quelques vêtements, des carnets, son ordinateur, et cette vieille photo qu’elle gardait cachée dans un livre — une photo où elle, Ana et Grace souriaient encore, comme si tout allait bien.
Elle venait de fermer la valise quand on frappa doucement à la porte.
— Entre, dit-elle sans vraiment attendre de réponse.
C’était Ana. Elle entra sans dire un mot, les mains dans les poches de son sweat trop large. Elle referma la porte derrière elle et s’adossa au mur.
— Alors… tu pars, murmura-t-elle.
Cassie hocha doucement la tête.
— Apparemment. Grace a tout décidé.
Un silence inconfortable s’installa. Les deux sœurs ne s’étaient jamais vraiment dit les choses. Elles avaient grandi dans la même maison, mais c’était comme si elles avaient vécu dans deux mondes séparés.
— J’ai essayé, tu sais, dit Ana en fixant le sol. De t’éviter ça.
— J’ai cru comprendre, répondit Cassie sans colère.
Ana s’approcha, tendue.
— Je suis pas douée pour les adieux, ni pour les excuses. Mais… j’espère que tu comprendras un jour. Tout ça, c’est pas contre toi.
Cassie la regarda enfin dans les yeux.
— Je sais.
Un léger sourire passa sur les lèvres d’Ana, presque triste. Elle s’approcha et serra Cassie dans ses bras, un peu maladroitement.
— Protège-toi, d’accord ? Et méfie-toi d’elle.
— De qui ? demanda Cassie, étonnée.
Ana recula légèrement, esquivant la question.
— Bonne nuit, murmura-t-elle simplement, avant de sortir.
Cassie resta un moment debout, les bras croisés. Puis elle alla éteindre la lumière, tira les rideaux, et se glissa sous les draps.
Elle fixait le plafond, les pensées en vrac. Quelque chose au fond d’elle lui soufflait que ce départ n’était que le début.
Et alors qu’elle fermait les yeux, un frisson lui parcourut l’échine comme si une autre version d’elle-même l’observait, depuis un endroit très, très lointain.
(Lelendemain)
Le lendemain matin, à 6h précises, Cassie descendit les escaliers, une valise à la main, emmitouflée dans son long manteau beige. La maison était encore plongée dans un calme pesant. Ana n’était pas là. Grace non plus.
Seul Don l’attendait, déjà prêt, appuyé contre la porte d’entrée, ses clés à la main. Il ne dit rien, se contenta d’ouvrir la porte et de la précéder vers la voiture noire garée devant la maison. Cassie jeta un dernier regard à la façade familière. Elle ne ressentait rien. Ou peut-être un vide étrange, une coupure nette avec tout ce qu’elle laissait derrière elle.
Le trajet jusqu’à l’aéroport fut silencieux. Pas un mot n’avait été échangé. Don conduisait avec son habituelle raideur, les yeux figés sur la route, comme s’il voulait éviter toute conversation. À l’aéroport, il s’arrêta devant l’entrée réservée aux vols privés et descendit sans un mot.
Cassie ouvrit la portière et sortit, sa valise à la main. Avant de s’éloigner, elle jeta un coup d’œil à son père.
— Tu ne me dis pas au revoir ? demanda-t-elle, la voix posée.
Il haussa les épaules.
— Tu es forte. Tu sauras te débrouiller. Et puis… c’est mieux ainsi.
Cassie n’ajouta rien. Elle tourna les talons et disparut dans le terminal, sans se retourner.
Le vol fut court. Quelques heures à peine. À son arrivée, une voiture l’attendait comme prévu devant l’hôtel chic réservé par Grace. Un chauffeur silencieux, une plaque diplomatique, et un dossier sur le siège passager avec une carte, une clé et une lettre manuscrite de sa mère. Cassie la lit en silence pendant que les paysages défilaient à travers la vitre.
"Ma chère Cassie,
Repose-toi, reprends-toi, et surtout, fais-toi discrète. Loin du chaos, tu pourras redevenir celle que tu as toujours été.
Je t’aime.
Grace."
Elle froissa la lettre et la glissa dans sa poche.
Le manoir était immense. Ancien, majestueux, entouré d’une brume légère. Des arbres centenaires bordaient l’allée. La voiture s’arrêta devant la grande porte en fer forgé. Cassie sortit, son manteau dans le vent, sa valise roulant derrière elle.
Un silence profond régnait. Trop parfait pour être naturel. Elle avança jusqu’à la porte principale. En poussant l’imposante entrée en bois, une odeur de bois ancien et lavande l’envahit. Le manoir avait quelque chose d’impressionnant et de théâtral, comme figé dans une autre époque. À peine Cassie eut-elle franchi le seuil que ses yeux s’écarquillèrent devant l’immensité du manoir .Deux majestueux escaliers en bois sombre se faisaient face, partant de chaque côté du hall pour se rejoindre à l’étage supérieur en une courbe symétrique et élégante. Le sol en marbre blanc veiné de gris reflétait la lumière tamisée des immenses lustres suspendus au plafond, pareils à des cascades de cristal figées dans le temps. De grandes tapisseries anciennes pendaient le long des murs, représentant des scènes mystérieuses et des symboles ésotériques qu’elle ne comprenait pas.
Cassie monta lentement l’un des escaliers, ses doigts glissant sur la rambarde polie. À l’étage, elle ouvrit prudemment la première porte sur sa gauche. La chambre était spacieuse, décorée avec goût, mélange de moderne et d’ancien. Un lit à baldaquin drapé de voiles blancs trônait au centre. Une grande fenêtre laissait passer la lumière du matin, et sur une commode… des affaires.
Des vêtements. Des bijoux. Des objets de toilette déjà utilisés.
Cassie s’approcha.Y'avait pas de poussière.
Quelqu’un vivait ici. Un frisson lui parcourut l’échine.
(Club Dourian , 15h )
Sky descendait précipitamment les marches du club, son cœur battant à tout rompre. Elle venait de voir Ricky, son petit copain, embrasser une autre fille dans une salle à l’arrière. Le choc l’avait paralysée quelques secondes, puis la colère et la tristesse s’étaient emparées d’elle.
Elle l’avait confronté, la voix tremblante. Mais Ricky avait d’abord nié, avant de hausser les épaules, comme si tout cela n’était rien. Comme si elle ne comptait pas.
Mais alors qu’il ricanait en détournant le regard, quelque chose changea.
Sky sentit une chaleur étrange l’envahir, comme une vague de feu dans son ventre, puis dans sa poitrine. Ses yeux s’étaient embués, mais ce n’était pas de simples larmes. C’était... autre chose. Une sorte de connexion brutale, invisible, mais puissante. Son esprit s’ouvrit soudain à celui de Ricky. Et ce qu’elle y trouva l’écœura.
Elle voyait ses pensées. Son mépris. Sa satisfaction d’avoir "gagné" une autre fille. Et pire encore... Elle sentit qu’elle pouvait modifier ce qu’il pensait. Qu’elle pouvait imposer ses émotions. Un sentiment de panique, de culpabilité, d’effondrement total.
Ricky s’était mis à reculer, les mains sur la tête, les yeux remplis de terreur.
— Qu’est-ce que tu me fais ?! Qu’est-ce que t’es en train de faire, Sky ?! Arrête... arrête... ARRÊTE !
Il s’était effondré au sol, gémissant, comme si son propre esprit se retournait contre lui. Sky, choquée, avait reculé à son tour, les mains tremblantes.
— Je... je fais rien...
Mais c’était un mensonge. Elle le sentait. Elle avait déclenché quelque chose. Quelque chose en elle. Et ça faisait peur.
Elle s’était enfuie du club sans se retourner.
Dehors, l’air frais l’avait frappée au visage. Elle courut presque jusqu’à la maison. Lorsqu’elle arriva devant le portail, elle se figea. Une voiture inconnue était garée dans l’allée.
Sky fronça les sourcils. Mel n’avait pas mentionné de visite. Encore sous le choc de ce qui venait de se passer, elle poussa la porte d’entrée.
Mel était dans le hall principal et venait juste d'arriver.
__Tu croiras jamais ce qui vient de m'arriver....mais elle s'interrompit en voyant des valises inconnues près de l'un des escaliers.
Cassie , pendant ce temps était en haut dans la chambre analysant les affaires qui étaient là...Avant qu’elle ne puisse réfléchir davantage, un bruit sourd résonna au rez-de-chaussée : la porte d’entrée venait de s’ouvrir… et de se refermer, dans un claquement net et sec.
Elle descendit en trombe, le cœur battant, retenant à peine sa respiration.
Arrivée au bas des marches, elle s’arrêta net.
Deux jeunes filles se tenaient là, elles aussi figées de surprise. L’une, aux longs cheveux bouclés d’un brun intense, la toisait d’un regard méfiant. L’autre, aux yeux clairs, semblait tout aussi confuse.
— Qui es-tu ? lança Mel, le ton sec et tendu.
Cassie, les lèvres entrouvertes, ne répondit pas tout de suite.
Elle se retrouva face à face avec deux inconnues. Ou plutôt… deux présences familières, bien qu’elle n’aurait su dire pourquoi.
— Je… je m’appelle Cassie, dit-elle enfin. Et vous… qui êtes-vous ?
Cassie, Mel et Sky se regardaient toujours, méfiantes, silencieuses. Mais quelque chose clochait.
Le sol sous leurs pieds sembla vibrer légèrement. L’air devint plus lourd. Comme chargé d’électricité. Cassie fronça les sourcils.
— Vous ressentez ça ? murmura-t-elle.
Mel acquiesça. Sky recula d’un pas.
Un frisson étrange parcourut leurs bras à toutes les trois. Et soudain, sans qu’aucune ne fasse un geste, le sol entre elles se mit à briller d’une lumière dorée. Des lignes se dessinèrent, formant un triangle parfait. Au centre, une lueur blanche s’éleva lentement, suspendue dans l’air comme une étoile vivante.
— Qu’est-ce que c’est que ce délire ? lâcha Sky, stupéfaite.
Leurs pieds restaient figés sur chaque point du triangle, comme si une force les maintenait là. Puis, sans prévenir, le pouvoir contenu dans ce triangle explosa vers l’extérieur dans une onde invisible.
Cassie fut projetée contre l’escalier, Sky contre la porte d’entrée et Mel tomba à genoux, le souffle coupé.
Une voix, douce mais puissante, résonna dans leur tête. Une voix ancienne, presque lointaine :
"L’union est scellée. La prophétie a commencé."
Puis plus rien. Le calme revint. Les lumières s’éteignirent d’un coup, comme si rien ne s’était produit.
Cassie, encore sonnée, se redressa en se tenant l’épaule.
— C’est pas possible... qu’est-ce que c’était ça ?
Sky, blême, murmura :
— Je crois que... c’est que le début.
Et sans savoir pourquoi, toutes les trois ressentirent exactement la même chose : elles étaient liées désormais. Et rien ne pourrait changer ça.Un croisement. Une convergence.
Leurs destins venaient de s’entrelacer pour de bon.