Cherreads

Chapter 1 - Chapitre 1 : Le Commencement d'une Odyssée

Le couloir menant à la salle de classe s'étirait devant Kaizen comme un tunnel interminable. Le luxueux navire-école Omnis, avec ses panneaux de bois précieux et ses ornements dorés, contrastait cruellement avec la simplicité de sa vie d'avant. Ses chaussures, bien que neuves, émettaient un son étouffé contre la moquette épaisse alors qu'il courait, son sac à l'épaule, consultant frénétiquement le plan du bateau.

« Salle 204, salle 204 », murmurait-il, le souffle court. « C'est impossible de s'y retrouver dans ce labyrinthe flottant. »

Trois jours seulement s'étaient écoulés depuis son arrivée forcée sur ce navire qui allait devenir sa maison pour les six prochains mois. Trois jours depuis que son prétendu père biologique, un homme d'affaires influent qu'il n'avait jamais rencontré auparavant, avait débarqué dans sa vie avec sa secrétaire impeccable et froide, lui proposant — ou plutôt lui imposant — une place à la prestigieuse Omnis Academy.

Kaizen avait réussi à éviter les cours préparatoires jusqu'à présent, s'enfermant dans sa cabine pour gérer son entreprise à distance et tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Mais aujourd'hui, impossible d'y échapper. Son premier cours de mathématiques l'attendait... en anglais, bien sûr. Parce que dans ce monde d'élite, tout était en anglais.

Dix-huit heures de retard. Il ralentit enfin devant la porte 204, son cœur battant à tout rompre. Après un moment d'hésitation, il prit une profonde inspiration et frappa trois coups.

« Enter, » lança une voix ferme à l'intérieur.

La porte s'ouvrit sur un amphithéâtre moderne. Une vingtaine d'étudiants, tous impeccablement vêtus d'uniformes aux couleurs d'Omnis — blanc et or — se tournèrent vers lui. Le professeur, un homme grand et sec d'une cinquantaine d'années, interrompit son cours et le fixa de ses yeux perçants.

« M. Shadow, je présume ? » demanda-t-il, un sourcil levé.

Kaizen hocha la tête, incapable de formuler une réponse. Il comprenait l'anglais basique, mais le parler couramment était une autre histoire.

« Tu es en retard. Dix-huit heures de retard, pour être précis", continua le professeur, visiblement agacé. « Voulez-vous m'expliquer ? »

Kaizen resta silencieux un instant, cherchant ses mots. Il sentit le regard de tous les étudiants sur lui.

« I... » commença-t-il, hésitant. « J'avais des affaires à régler. »

Un léger rire parcourut la salle. Kaizen remarqua un étudiant au premier rang qui secouait la tête avec dédain.

« Business ? » répéta le professeur, M. Harrington, selon la plaque sur son bureau. « Plus important que votre formation dans l'une des institutions les plus prestigieuses au monde ? »

Kaizen se redressa, piqué au vif. « Oui », répondit-il simplement. « Une entreprise qui génère cent vingt mille euros par mois. »

Le silence tomba sur la classe. Le professeur le dévisagea, cherchant visiblement à déterminer s'il s'agissait d'un mensonge ou d'une vantardise.

— Eh bien, monsieur l'Ombre, répond-il finalement, vos entreprises financières, si impressionnantes qu'elles soient, ne vous dispensent pas de la ponctualité. Asseyez-vous.

Kaizen balaya la salle du regard. La plupart des places étaient prises, mais il repéra une chaise libre au fond de l'amphithéâtre. Il s'y dirigea, conscient des murmures qui s'élevaient sur son passage.

« Comme je le disais, répliqua M. Harrington, en revenant à son tableau électronique, nous explorons aujourd'hui la beauté de l'expansion de la série Taylor. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas le concept, il nous permet de représenter des fonctions comme des sommes infinies de termes dérivés de la fonction en un seul point.

Kaizen s'installa, sortit son ordinateur portable et commença à prendre des notes. Le professeur inscrivait sur le tableau une équation complexe :

f(x) = f(a) + f'(a)(x-a) + f''(a)(x-a)²/2 ! + f'''(a)(x-a)³/3 ! + ...

« La série de Taylor, poursuivit M. Harrington, est essentiellement une approximation polynomiale d'une fonction. Par exemple, la fonction exponentielle e^x peut être exprimée comme 1 + x + x²/2 ! + x³/3 ! + ..."

Kaizen fronça les sourcils. Les mathématiques n'avaient jamais été son point faible, mais suivre ce cours en anglais représentait un défi supplémentaire. Il notait frénétiquement chaque mot, chaque équation, se promettant de tout traduire plus tard.

Une voix s'éleva soudain à sa gauche.

"Besoin d'aide?"

Surpris, Kaizen se tourna vers sa voisine. Une jeune fille aux cheveux châtains attachés en queue de cheval le regardait avec un sourire bienveillant. Elle avait glissé un petit mot sur son pupitre : "Je peux te traduire si tu veux."

"Merci," chuchota-t-il, reconnaissant. "Mais je dois apprendre à me débrouiller seul."

La jeune fille hocha la tête avec compréhension, mais laissa tout de même le papier sur son bureau. Kaizen le prit discrètement et le glissa dans sa poche.

"Now," continuait Mr. Harrington, "who can tell me what happens when we apply the Taylor series to approximate sine and cosine functions?"

Une main se leva instantanément au premier rang. Celle du même étudiant qui avait ri plus tôt.

"Yes, Mr. Chen," dit le professeur.

"For sine, the Taylor series centered at zero gives us x - x³/3! + x⁵/5! - ... and for cosine, 1 - x²/2! + x⁴/4! - ... These are special cases called Maclaurin series."

"Excellent, Mr. Chen. Now, let's explore why these particular expansions are so useful in engineering applications..."

Kaizen observa discrètement l'étudiant nommé Chen. Grand, élancé, une posture impeccable. Il semblait émaner de lui une confiance absolue, presque arrogante. Kaizen nota mentalement : premier adversaire identifié.

Le cours se poursuivit pendant une heure qui sembla interminable. Kaizen s'efforçait de suivre, de comprendre, de mémoriser, tout en sachant qu'il partait avec un handicap majeur : sa maîtrise limitée de l'anglais. Mais il refusait de se laisser abattre. Il avait connu d'autres défis dans sa vie, et les avait tous surmontés.

À la fin du cours, Mr. Harrington annonça un test pour la semaine suivante. Kaizen rangea ses affaires, prêt à quitter la salle, lorsque le professeur l'interpella.

"Mr. Shadow, a word, please."

Kaizen s'approcha du bureau, conscient des regards curieux des autres étudiants qui quittaient la salle.

"Your father informed me of your... situation," dit Mr. Harrington une fois qu'ils furent seuls. "He mentioned you might need some time to adjust to our English-only policy."

Kaizen serra les dents à la mention de son "père."

"I don't need special treatment," répondit-il avec plus d'assurance qu'il n'en ressentait réellement.

"That's not what I'm offering," rétorqua Mr. Harrington, ses yeux gris perçants fixés sur lui. "I'm merely giving you a warning. You have two weeks to become proficient in English or you will be asked to leave this program."

Kaizen écarquilla les yeux. "Two weeks? That's impossible."

"Impossible?" Mr. Harrington esquissa un sourire froid. "Mr. Shadow, nothing is impossible at Omnis Academy. We have students here who mastered three languages before the age of ten. Students who published scientific papers before entering high school. Students who..."

"I understand," coupa Kaizen, refusant de se laisser intimider. "Two weeks."

"Good," conclut le professeur. "Oh, and one more thing. Your father specifically requested that I push you to your limits. He seems to believe you thrive under pressure."

Kaizen sentit une vague de colère monter en lui. Son "père" ne le connaissait pas, n'avait jamais fait partie de sa vie, et maintenant il prétendait savoir ce qui était bon pour lui?

"My father doesn't know me," dit-il, chaque mot pesé avec soin pour ne pas trahir son accent.

"Perhaps not," concéda Mr. Harrington. "But he's investing a considerable amount in your education. Two million euros, I believe. That buys him certain... expectations."

Kaizen resta silencieux, digérant cette information. Deux millions d'euros. Pour son éducation. C'était une somme astronomique, même pour quelqu'un qui gagnait 120 000 euros par mois avec son entreprise.

"I'll see you tomorrow, Mr. Shadow," conclut le professeur, signifiant clairement la fin de leur conversation.

Kaizen sortit de la salle, l'esprit en ébullition. Dans le couloir, plusieurs étudiants s'étaient attardés, visiblement curieux de le voir. Il les ignora, cherchant la sortie la plus proche. Il avait besoin d'air.

Il finit par trouver une porte menant à un pont extérieur. L'air marin lui fouetta le visage, frais et revigorant. Il s'approcha de la rambarde et contempla l'océan qui s'étendait à perte de vue. Le soleil commençait à descendre vers l'horizon, teintant le ciel et la mer de nuances orangées.

"Première journée difficile?"

Kaizen se retourna brusquement. Une jeune fille se tenait là, appuyée contre la porte qu'il venait de franchir. Elle était vêtue du même uniforme que tous les autres étudiants, mais portait un pantalon au lieu de la jupe traditionnelle. Ses cheveux noirs étaient coupés court, encadrant un visage aux traits délicats mais assurés.

"Je ne vois pas en quoi ça te concerne," répondit-il, méfiant.

La jeune fille s'approcha, nullement intimidée, et vint s'accouder à la rambarde à côté de lui.

"Lila," dit-elle simplement, lui tendant la main. "Enchantée, frangin."

Kaizen la dévisagea, stupéfait. "Frangin?"

"Demi-frère, techniquement," précisa-t-elle avec un sourire espiègle. "Même père, mères différentes. Tu peux vérifier, si tu veux. Test ADN et tout ça."

Kaizen resta bouche bée. Une demi-sœur? Il n'avait jamais envisagé cette possibilité. Son père mystérieux avait donc une autre famille, une autre vie.

"Je... je n'étais pas au courant," balbutia-t-il.

"Évidemment," soupira Lila. "Le grand Maximilien Shadow n'est pas du genre à partager des informations personnelles. Même avec sa propre progéniture."

Maximilien Shadow. Ainsi, son père avait un prénom. Kaizen avait délibérément évité de l'utiliser jusqu'à présent, préférant se référer à lui comme "cet homme" ou "mon soi-disant père."

"Qu'est-ce que tu veux?" demanda-t-il, sur la défensive.

"Te connaître," répondit Lila simplement. "Ça fait des années que je sais que j'ai un demi-frère quelque part. Je t'ai vu débarquer sur ce bateau il y a trois jours, et j'ai décidé d'attendre que tu te montres en cours pour t'approcher."

"Pourquoi?"

"Pour ne pas te brusquer, probablement," dit-elle avec un haussement d'épaules. "Mais quand je t'ai vu te faire humilier par Harrington puis t'enfuir ici, j'ai pensé que tu avais peut-être besoin d'une alliée."

Kaizen hésita. Pouvait-il faire confiance à cette fille qui prétendait être sa demi-sœur? Après tout, elle faisait partie de ce monde auquel il n'appartenait pas.

"Écoute," reprit Lila, "je sais que tu ne me connais pas, et que tu as probablement des raisons de te méfier de tout ce qui touche à notre père. Mais je ne suis pas lui. Je suis juste une fille qui a grandi en sachant qu'elle avait un frère quelque part, et qui a toujours voulu le rencontrer."

Il y avait quelque chose de sincère dans sa voix, une vulnérabilité qui toucha Kaizen malgré lui.

"D'accord," concéda-t-il. "Mais je n'ai pas besoin d'aide."

Lila éclata de rire, un son clair et mélodieux qui contrastait avec son apparence un peu rebelle.

"Oh, frangin," dit-elle en secouant la tête, "tout le monde a besoin d'aide parfois. Même les génies autodidactes qui gagnent 120 000 euros par mois."

Kaizen la regarda, surpris qu'elle connaisse ce détail. "Tu m'espionnes?"

"Non," nia-t-elle. "J'ai juste entendu ta petite déclaration en classe. Impressionnant, d'ailleurs. Tu as cloué le bec à pas mal de petits prétentieux."

Un silence s'installa entre eux, mais étrangement, ce n'était pas un silence inconfortable. Le vent marin jouait avec leurs cheveux, et au loin, on entendait le cri des mouettes.

"Tu connais Chen?" demanda finalement Kaizen, repensant à l'étudiant arrogant du premier rang.

Lila fit une grimace. "Ah, Xavier Chen. Le golden boy d'Omnis. Premier de sa promotion depuis trois ans. Fils de diplomates, parle cinq langues couramment, et ne manque jamais une occasion de le rappeler aux autres."

"Il semble être le chouchou des professeurs."

"Il l'est," confirma Lila. "Mais il a aussi un ego surdimensionné. Ne te laisse pas impressionner par son petit numéro. Il n'est pas invincible."

Kaizen hocha la tête, enregistrant cette information. "Et la fille qui était assise à côté de moi? Celle qui m'a proposé de m'aider?"

"Naomi Winters," répondit Lila. "Américaine. Brillante en mathématiques et en physique. Assez discrète, généralement. Elle n'offre pas souvent son aide. Tu dois lui avoir fait bonne impression."

Kaizen fronça les sourcils. "Pourquoi?"

"À toi de le découvrir," répondit Lila avec un clin d'œil. "Mais si j'étais toi, j'accepterais son offre. Tu as deux semaines pour maîtriser l'anglais, non? Ça pourrait te servir d'avoir une tutrice."

Kaizen la dévisagea, surpris. "Comment sais-tu ça?"

"Les murs ont des oreilles sur ce bateau," dit-elle avec un sourire énigmatique. "Rien ne reste secret très longtemps."

Kaizen se sentit soudain vulnérable. Si tout le monde savait déjà qu'il avait deux semaines pour prouver sa valeur, la pression serait encore plus grande.

"[Allez, viens," dit Lila, lui faisant signe de la suivre.

"Viens où?" demanda Kaizen, suspicieux.

"Au réfectoire," répondit Lila en consultant sa montre. "C'est l'heure du dîner, et tu dois être affamé après t'être caché pendant trois jours."

L'estomac de Kaizen grogna malgré lui, confirmant les paroles de sa demi-sœur. Il la suivit à contrecœur à travers les coursives luxueuses du navire, mémorisant au passage le chemin pour pouvoir s'y retrouver seul la prochaine 

fois.

"Donc..." commença-t-il, brisant le silence alors qu'ils marchaient côte à côte. "Tu as grandi en sachant que tu avais un frère?"

"Demi-frère," corrigea Lila. "Et oui. Mon père—notre père—n'est pas du genre à cacher ses erreurs. Il les assume... à sa façon."

"Une erreur," répéta Kaizen, amer. "C'est comme ça qu'il me voit?"

Lila s'arrêta net et se tourna vers lui, son expression soudain sérieuse.

"Ce n'est pas ce que j'ai dit," précisa-t-elle. "Pour lui, aucune naissance n'est une erreur. C'est sa relation avec ta mère qu'il considère comme... compliquée."

Kaizen serra les poings. "Il l'a abandonnée. Enceinte."

"Je sais," soupira Lila. "Et je ne le défends pas. Je te dis simplement comment il voit les choses."

Ils reprirent leur marche en silence. Kaizen absorbait cette nouvelle réalité. Une demi-sœur. Un père qui considérait sa liaison avec sa mère comme une "complication". Un héritage qu'il n'avait jamais demandé.

"Elle est comment?" demanda-t-il finalement. "Ta mère?"

"Stricte," répondit Lila avec un petit sourire. "Efficace. Perfectionniste. C'est la secrétaire personnelle de notre père depuis quinze ans."

Kaizen s'arrêta net, sous le choc. "La femme qui est venue me chercher avec lui? C'est ta mère?"

Lila hocha la tête, son expression indéchiffrable. "Diane Nakamura. Japonaise par sa mère, française par son père. Graduée de HEC et de la London School of Economics."

"Elle semblait... froide," remarqua Kaizen.

"Elle l'est," confirma Lila sans s'offusquer. "C'est une perfectionniste née. Elle n'aime pas l'échec, la médiocrité ou les excuses. Mais elle a un bon cœur, sous cette carapace."

Ils arrivèrent enfin devant deux immenses portes ornées de l'emblème d'Omnis Academy: un phénix doré s'élevant d'un livre ouvert. Lila les poussa et Kaizen découvrit un spectacle saisissant.

Le réfectoire ressemblait davantage à la salle de réception d'un palace qu'à une cantine scolaire. Des lustres en cristal pendaient du plafond richement décoré. Des tables en acajou poli étaient disposées de manière élégante autour d'une fontaine centrale où l'eau dansait au rythme d'une musique classique discrète. Des serveurs en livrée se déplaçaient silencieusement entre les tables, portant des plateaux d'argent chargés de mets qui semblaient sortir tout droit des cuisines d'un restaurant étoilé.

"C'est... une blague?" murmura Kaizen, ébahi.

"Bienvenue dans le monde des ultra-privilégiés," répondit Lila avec une pointe d'ironie. "Où même la nourriture des adolescents doit ressembler à un tableau de maître."

Elle le guida à travers la salle, ignorant délibérément les regards curieux qui les suivaient. En approchant d'une table occupée par quelques étudiants, Kaizen reconnut Naomi, la fille qui lui avait proposé son aide pendant le cours de mathématiques.

"Hey, Lila!" l'appela un garçon à la peau sombre et au sourire éclatant, assis à côté de Naomi. "Qui est ton nouveau copain?"

"Pas mon copain, Malik," corrigea Lila en s'asseyant. "Mon frère."

Un silence stupéfait s'abattit sur la table. Tous les regards se tournèrent vers Kaizen, qui restait debout, mal à l'aise.

"Ton... frère?" répéta Naomi, ses yeux bleus écarquillés. "Je ne savais pas que tu avais un frère."

"Demi-frère," précisa Kaizen, s'asseyant finalement à la seule place libre, entre Lila et une fille aux cheveux roux qu'il ne connaissait pas. "Et apparemment, c'était une surprise pour moi aussi jusqu'à il y a vingt minutes."

Un silence gêné s'installa brièvement, avant que Lila ne prenne les choses en main.

"Bon, les présentations," annonça-t-elle. "Kaizen Shadow, voici Malik Okonkwo, génie de la robotique, d'origine nigériane."

Le garçon au sourire éclatant lui tendit la main. "Enchanté, mec. Et désolé pour la confusion."

"Naomi Winters, que tu as déjà croisée," continua Lila tandis que Naomi lui adressait un léger signe de tête, un sourire timide aux lèvres.

"Et enfin, Asta Thorisdottir," conclut Lila en désignant la rousse à sa droite. "Présidente du Bureau des Élèves, islandaise, et probablement la personne la plus influente de notre promotion."

Asta dévisagea Kaizen avec une intensité qui le mit mal à l'aise. Ses yeux verts semblaient analyser chaque détail de son apparence, chaque mouvement de son visage.

"Le fils caché de Maximilien Shadow," dit-elle finalement, sa voix mélodieuse teintée d'un léger accent nordique. "J'étais curieuse de savoir à quoi tu ressemblais."

"Toi aussi, tu étais au courant?" s'étonna Kaizen.

Asta haussa élégamment les épaules. "Je sais tout ce qui se passe d'important sur ce navire. C'est mon travail."

Un serveur s'approcha et déposa devant eux des assiettes contenant ce qui ressemblait à un tartare de saumon agrémenté d'une mousse à l'aneth et de perles d'agrumes.

"Oh, c'est vrai," se rappela soudain Lila, "tu es témoin de Jéhovah, non? Il y a des restrictions alimentaires dont nous devrions être conscients?"

Kaizen, surpris qu'elle soit au courant de sa religion, secoua la tête. "Pas vraiment, tant que la viande est correctement saignée et qu'elle ne contient pas de sang."

"En fait," intervint Naomi, "les témoins de Jéhovah évitent les aliments contenant du sang, comme le boudin noir, mais la plupart des viandes commerciales sont acceptables puisqu'elles sont généralement bien saignées."

Tous se tournèrent vers elle, étonnés par sa connaissance précise.

"J'ai fait un exposé sur les religions minoritaires l'année dernière," expliqua-t-elle, rougissant légèrement sous l'attention générale.

"C'est exact," confirma Kaizen, impressionné. "Merci de la précision."

Un silence s'installa pendant qu'ils commençaient à manger. Kaizen devait admettre que la nourriture était délicieuse, bien qu'il se sente coupable de profiter d'un tel luxe alors que sa grand-mère continuait de vivre simplement en banlieue parisienne.

"Alors," lança Malik après un moment, "Lila m'a dit que tu possèdes déjà ta propre entreprise? Qui rapporte 120K par mois?"

Kaizen jeta un regard en coin à sa demi-sœur, qui lui adressa un sourire innocent.

"C'est exact," répondit-il. "Shadow Tech Solutions. Une plateforme d'automatisation marketing pour petites et moyennes entreprises."

"Impressionnant," commenta Asta sans lever les yeux de son assiette. "Et combien d'employés?"

"Vingt-trois," répondit Kaizen. "Majoritairement des développeurs et des experts en marketing digital."

"Et tu gères tout ça à distance?" demanda Naomi, clairement intéressée.

"J'essaie," confirma Kaizen. "Mais avec le décalage horaire et les restrictions de communication sur ce navire, c'est... compliqué."

"Ah, les fameuses restrictions," soupira Malik. "Bienvenue en prison dorée, mon frère."

Lila lui donna un léger coup de coude. "Ne l'effraie pas plus qu'il ne l'est déjà."

"Quelles restrictions exactement?" demanda Kaizen, fronçant les sourcils.

"Internet limité," expliqua Asta. "Deux heures par jour maximum, supervisées. Téléphones confisqués à l'embarquement, rendus uniquement pour les appels familiaux hebdomadaires, également surveillés. Courrier électronique filtré. Pas de réseaux sociaux."

Kaizen pâlit. Comment allait-il gérer son entreprise dans ces conditions?

"Mais il y a des exceptions," ajouta rapidement Naomi, remarquant son expression. "Pour des raisons professionnelles ou médicales légitimes."

"Il te faudra convaincre le conseil d'administration," précisa Asta. "Ce qui n'est pas une mince affaire."

Kaizen absorba cette information, son esprit calculant déjà les arguments qu'il pourrait présenter.

"Je peux t'aider à préparer ton dossier," proposa Naomi. "En échange de... disons, une heure de ton temps chaque jour pour améliorer ton anglais?"

Kaizen la regarda avec surprise. Il n'avait pas l'habitude qu'on lui propose de l'aide aussi spontanément, sans arrière-pensée évidente.

"Pourquoi ferais-tu ça?" demanda-t-il, méfiant.

"Parce que," intervint Asta avant que Naomi ne puisse répondre, "contrairement à ce que tu sembles penser, nous ne sommes pas tous des robots programmés pour la compétition. Certains d'entre nous apprécient encore l'entraide."

"Et aussi," ajouta Malik avec un clin d'œil, "parce que Naomi cherche désespérément une excuse pour passer du temps avec—"

"Malik!" l'interrompit Naomi, rougissant furieusement.

Lila éclata de rire, et même Asta esquissa un sourire.

"J'accepte," dit finalement Kaizen. "Merci, Naomi."

Le reste du dîner se déroula dans une ambiance étonnamment détendue. Kaizen apprit que Malik était fils d'un ministre nigérian, que Naomi avait remporté trois compétitions internationales de mathématiques, et qu'Asta, en plus d'être présidente du BDE, était également championne d'échecs junior en Islande.

Alors qu'ils terminaient leur dessert — une mousse au chocolat accompagnée d'un coulis de fruits rouges — un silence pesant s'abattit soudain sur la salle. Kaizen leva les yeux et vit Xavier Chen entrer dans le réfectoire, accompagné de deux autres étudiants à l'allure tout aussi assurée.

"Et voilà Sa Majesté," murmura Lila avec dédain.

Chen balaya la salle du regard et s'arrêta net en apercevant Kaizen. Un sourire narquois se dessina sur ses lèvres, et il se dirigea droit vers leur table.

"Alors," lança-t-il en s'arrêtant devant eux, "le nouveau a finalement décidé de sortir de sa cachette."

Kaizen le fixa sans ciller. "Je n'étais pas caché. J'étais occupé."

"Bien sûr," répondit Chen avec un sourire condescendant. "Trop occupé pour assister aux cours, mais pas trop pour dîner avec... l'élite d'Omnis." Son regard s'attarda sur Asta, puis glissa sur Lila avec une lueur d'intérêt.

"Tu as un problème, Chen?" demanda cette dernière, clairement agacée.

"Absolument pas," répondit-il avec un sourire mielleux. "Je venais simplement souhaiter la bienvenue à notre nouvelle... célébrité. L'entrepreneur prodige qui nous fait l'honneur de sa présence."

Kaizen sentit la colère monter en lui, mais s'efforça de rester calme. "Merci pour cet accueil chaleureux. Maintenant, si tu veux bien nous excuser..."

"Bien sûr," acquiesça Chen. "Je ne voudrais pas interrompre votre... intégration sociale. J'espère simplement que ton anglais s'améliorera plus vite que tes compétences en mathématiques. Deux semaines, c'est court pour rattraper des années de retard."

"Ce qui est court," intervint Asta d'une voix glaciale, "c'est ta mémoire, Chen. Rappelle-moi qui a terminé deuxième au dernier championnat international de mathématiques? Ah oui, c'était toi. Derrière Naomi."

Le visage de Chen se crispa imperceptiblement, mais il se reprit aussitôt. "Un détail qui sera corrigé cette année."

"On verra," rétorqua Naomi, qui semblait avoir retrouvé son assurance. "En attendant, laisse-nous finir notre dessert en paix."

Chen s'inclina avec une politesse exagérée. "Comme vous voudrez, Mademoiselle Winters. À bientôt en cours, Shadow. J'ai hâte de voir tes... progrès."

Il s'éloigna, suivi de ses deux acolytes, et alla s'installer à une table à l'autre bout de la salle.

"Quel crétin," siffla Lila entre ses dents.

"Il a raison sur un point," admit Kaizen, pensif. "Deux semaines, c'est court."

"Mais pas impossible," affirma Naomi. "Surtout avec de l'aide."

"Et tu n'es pas seul," ajouta Malik. "Je peux aussi te donner un coup de main. L'anglais est ma troisième langue, après le yoruba et le français."

Kaizen les regarda tour à tour, touché par ces propositions spontanées. Pour la première fois depuis qu'il avait mis les pieds sur ce navire, il ressentit autre chose que de la méfiance et de la colère.

"Merci," dit-il simplement. "À vous tous."

Asta l'observait toujours avec cette intensité qui le mettait mal à l'aise. Finalement, elle se leva avec grâce.

"Premier test demain à 8h," annonça-t-elle. "Mathématiques avancées et physique quantique. Ne sois pas en retard cette fois."

Et sur ces mots, elle quitta la table, sa démarche assurée attirant tous les regards.

"Elle est toujours comme ça?" demanda Kaizen à Lila.

"Asta? C'est une énigme," répondit sa demi-sœur. "Brillante, exigeante, parfois glaciale... mais c'est la meilleure alliée que tu puisses avoir sur ce bateau."

"Et la pire ennemie," ajouta Malik. "Crois-moi."

Naomi consulta sa montre et se leva à son tour. "Je dois y aller. Kaizen, retrouve-moi à la bibliothèque demain à 16h pour notre première session d'anglais?"

"J'y serai," promit-il.

Après leur départ, Kaizen se retrouva seul avec Lila et Malik.

"Alors," dit ce dernier avec un grand sourire, "prêt pour le grand plongeon dans l'univers d'Omnis?"

"Pas vraiment," admit Kaizen. "Mais je n'ai pas vraiment le choix, n'est-ce pas?"

"Bienvenue dans le club," répondit Malik. "Aucun de nous n'a eu le choix. Nous sommes tous ici parce que nos parents ont décidé que c'était notre destinée."

"Et vous acceptez ça?" demanda Kaizen, incrédule.

Lila et Malik échangèrent un regard lourd de sens.

"On s'adapte," répondit finalement Lila. "On trouve des moyens de survivre. De se créer des espaces de liberté."

"Et parfois," ajouta Malik plus bas, "on se rebelle. À notre façon."

Kaizen les observa avec un intérêt renouvelé. Peut-être avait-il jugé trop vite ces enfants de l'élite. Peut-être y avait-il plus de profondeur en eux qu'il ne l'avait d'abord pensé.

"Allez," dit Lila en se levant, "je vais te montrer le reste du navire avant le couvre-feu. Tu as besoin de connaître les passages secrets si tu veux survivre ici."

"Les passages secrets?" répéta Kaizen, surpris.

"Ce bateau a été construit pour les ultrariches," expliqua Malik avec un clin d'œil complice. "Bien sûr qu'il y a des passages secrets. Comment crois-tu que nous échappons à la surveillance?"

Kaizen suivit sa demi-sœur et son nouvel ami hors du réfectoire, se demandant dans quel monde étrange il venait de tomber. Un monde d'opulence et de privilèges, mais aussi de contraintes et de compétition féroce. Un monde où même les rebelles portaient des uniformes impeccables.

Alors qu'ils s'enfonçaient dans les entrailles luxueuses du navire, Kaizen se fit une promesse: il n'allait pas simplement survivre à ce voyage. Il allait le transformer en opportunité. Pour lui-même, pour son entreprise, et peut-être même... pour sa foi.

---

De retour dans sa cabine après la visite guidée, Kaizen s'assit sur le bord de son lit. La pièce, bien que luxueuse avec son mobilier en bois précieux et sa salle de bain en marbre, lui semblait étrangère, impersonnelle.

Il sortit sa Bible de sa valise — la seule chose qu'il avait emportée de son ancienne vie avec sa grand-mère — et l'ouvrit à un passage qu'il connaissait par cœur:

"_Acquiers la sagesse, acquiers l'intelligence; n'oublie pas les paroles de ma bouche, et ne t'en détourne pas._" — Proverbes 4:5

Ces mots résonnaient différemment maintenant qu'il se trouvait dans cet environnement étranger. La sagesse et l'intelligence... N'était-ce pas précisément ce qu'Omnis Academy prétendait cultiver? Mais à quel prix?

Son ordinateur émit un bip. Un e-mail de Ruri, sa directrice des opérations. Kaizen se précipita pour l'ouvrir:

"_Kaizen,_

_La situation se complique ici. Deux clients majeurs menacent de partir si tu ne te montres pas plus disponible. J'ai réussi à les calmer pour l'instant, mais nous avons besoin d'une solution à long terme pour ces six mois._

_PS: Ta grand-mère a appelé trois fois aujourd'hui. Elle s'inquiète._

_Ruri_"

Kaizen soupira profondément. Il devait appeler sa grand-mère demain, lors de la plage horaire autorisée pour les communications. Il devait aussi trouver un moyen de gérer son entreprise malgré les restrictions. Et il devait maîtriser l'anglais en deux semaines, sous peine d'être renvoyé.

La tâche semblait insurmontable.

Il regarda à nouveau sa Bible, puis les manuels scolaires empilés sur son bureau. Le contraste était saisissant: sa foi simple et profonde d'un côté, le monde complexe et exigeant d'Omnis de l'autre.

"Comment concilier les deux?" murmura-t-il.

Sa main se posa sur la petite note que lui avait donnée Naomi pendant le cours. Un simple geste de gentillesse qui l'avait touché plus qu'il ne voulait l'admettre.

Une idée germa dans son esprit. Et si, au lieu de voir ces deux semaines comme un ultimatum, il les considérait comme un défi? Un défi qui lui permettrait de prouver — à lui-même autant qu'aux autres — qu'il méritait sa place ici?

Il s'installa à son bureau et ouvrit un nouveau document sur son ordinateur. En haut de la page, il écrivit:

"**Plan de bataille : Deux semaines pour conquérir Omnis**"

Puis il commença à lister ses objectifs, ses ressources, ses stratégies. Comme il l'aurait fait pour un nouveau projet d'entreprise.

Pour la première fois depuis son arrivée forcée sur ce navire, Kaizen Shadow sourit. Peut-être que son "père" avait eu raison sur un point: il excellait effectivement sous pression.

Le combat ne faisait que commencer.

More Chapters