Le vent avait changé.
Kael se tenait debout au sommet des falaises d’Ancerion, là où la mer frappait la roche avec une violence rythmique, presque solennelle. Derrière lui, les étendards de l’Académie de l’Équilibre claquaient dans le vent. Devant lui, une caravane royale approchait, escortée par des licornes dorées et des mages montés sur des wyvernes lunaires.
Trois nations s’étaient réunies ce jour-là : Cyndrael, royaume des cieux flottants ; Mavros, la terre des ombres vivantes ; et Thalir, le bastion des sages dragons. Toutes portaient un intérêt soudain pour Kael, le garçon qui n’était plus seulement une anomalie scripturale, mais une force pivot de l’Histoire.
Dans la salle des Sphères Vivantes de l’académie, les trois rois se faisaient face. Kael était assis non pas à la périphérie, comme un invité, mais au centre du cercle. Le monde avait compris : on ne pouvait plus parler d’équilibre sans lui.
La reine de Cyndrael, Isalyne, descendante des Séraphins, l’observait avec une curiosité mêlée d’appréhension :
— Tu ne viens pas de ce monde, Kael. Mais tu le modifies comme si tu en étais le cœur.
Le roi de Mavros, un être encapuchonné dont la voix semblait faite d’échos de douleurs oubliées, ajouta :
— Tu portes en toi le Roi Démon. Et pourtant, tu ne détruis pas. Pourquoi ?
Kael répondit simplement :
— Parce que je ne veux pas fuir ce monde. Je veux l’habiter. Le comprendre. Le mériter.
Cette phrase résonna dans la salle comme un vœu solennel. Mais dans les hautes voûtes, quelque chose s’éveilla. Les Sceaux des Royaumes, artefacts primordiaux cachés depuis l’Ère des Origines, vibrèrent.
Plus tard dans la nuit, Kael fut guidé par Elyra dans la salle du Scellé Profond. Là, sous les couches magiques, reposaient les trois Sceaux : la Couronne du Feu Ancien, le Cristal des Âmes Vagabondes, et le Fragment d’Écriture Primaire. Kael, attiré instinctivement, effleura ce dernier. Le fragment vibra, et un souffle l’engloutit.
Il vit un champ de bataille où lui-même se tenait face à un être sans visage, fait de lettres inversées. Le Faux Auteur. Mais ce n'était qu’une vision.
Quand il revint à lui, Elyra était à genoux, en larmes, des lettres anciennes tourbillonnant autour de son corps :
— Tu… tu l’as éveillé, Kael. Tu es celui que les fictions appellent… le Rédacteur d’Origine.
Le monde n’avait plus de doute. Kael n’était pas un prodige, ni même un héros. Il était une variable narrative incarnée, un point de fracture scriptural. Les puissants se demandaient : devait-on l’exalter ? Le contrôler ? Ou… le sceller ?
Mais Kael n’écoutait pas leurs intrigues. Il s’éloigna d’eux ce soir-là. Dans les jardins suspendus de l’académie, il croisa Mira, qui lui tendit une main :
— Tu ne dois pas porter tout ça seul.
Et pour la première fois, Kael accepta.
Il posa son front contre le sien. Les étoiles au-dessus semblèrent s’arrêter. Prologue de la Fracture
Dans les ténèbres du monde, au-delà des royaumes connus, une plume noire s’éleva, traçant dans l’air un mot interdit :
« Interrupteur. »
Et le Faux Auteur ouvrit les yeux.